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Les détournements de bateaux risquent de se multiplier dans la Méditerranée

La limitation des actions de l’Union européenne en mer Méditerranée, cumulée à l’empêchement de circuler imposé aux bateaux des ONG, risque d’avoir des répercussions sur les navires commerciaux. Explications avec la directrice de SOS Méditerranée en Suisse

«Vu les conditions de détention et la situation de guerre civile en Libye, ce pays ne peut pas être considéré comme un pays sûr sur lequel débarquer des gens», souligne Caroline Abu Sa’Da, directrice de SOS Méditerranée en Suisse. — © imago/Pacific Press Agency
«Vu les conditions de détention et la situation de guerre civile en Libye, ce pays ne peut pas être considéré comme un pays sûr sur lequel débarquer des gens», souligne Caroline Abu Sa’Da, directrice de SOS Méditerranée en Suisse. — © imago/Pacific Press Agency

La centaine de migrants accusés d’avoir détourné le pétrolier Elhiblu 1 ont été débarqués à Malte ce jeudi matin. Cinq d’entre eux, soupçonnés d’avoir été les meneurs de cette opération, ont été arrêtés par la police locale. «Si ce détournement de bateau s’est effectivement produit, ce serait la première fois que cela arrive dans la Méditerranée. C’est déjà arrivé dans d’autres endroits, notamment dans la mer d’Andaman», se souvient Caroline Abu Sa’Da, la directrice générale de SOS Méditerranée Suisse.

Ces 108 migrants, répartis sur deux canots, avaient été signalés par un avion militaire européen mardi soir. L’équipage du navire, détenu par une société turque, les a secourus. Le lendemain, aux abords de Tripoli, le cap initial du bateau, ils auraient contraint le commandant de bord à modifier sa trajectoire et à faire demi-tour. Arrivés à proximité de l’archipel, un commando de la marine maltaise a rendu le contrôle du navire à son capitaine.

«La Libye n’est pas un pays sûr»

La Libye est tristement connue pour être l’une des plaques tournantes du trafic de migrants. Ces derniers sont enfermés dans des camps et courent de nombreux risques: viols, tortures, trafic d’organes, ou encore esclavage. Une situation signalée à plusieurs reprises par le Service Croix-Rouge. «On ne peut pas prétendre qu’on ne sait pas. Vu les conditions de détention et la situation de guerre civile en Libye, ce pays ne peut pas être considéré comme un pays sûr où débarquer des gens», souligne Caroline Abu Sa’Da. Le droit maritime international oblige les bateaux à porter assistance aux personnes en danger rencontrées sur leur trajectoire. «Il faut contacter le centre de coordination des secours maritimes le plus proche: l’Italie, Malte ou la Libye. Ils indiquent alors vers quel port de sûreté se diriger. Appeler les gardes-côtes libyens, au regard des conditions sur place, c’est contrevenir au droit», assure-t-elle.

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La multiplication des détournements

Cet événement survient le même jour que l’annonce par l’Union européenne de la limitation de sa mission anti-passeurs Sophia à des patrouilles aériennes et à la formation de gardes-côtes libyens. «Cette opération vise soi-disant à combattre les trafiquants, mais sa capacité à effectuer des sauvetages est très limitée», s’étonne-t-elle. Une décision qui risque de se répercuter sur les bateaux commerciaux, comme le Elhiblu 1.

«Ils vont se retrouver dans des situations analogues ou dans celle du bateau de Maersk qui a dû attendre quatre ou cinq jours devant un port après avoir secouru des gens en mer», estime la directrice de SOS Méditerranée Suisse. «Ça leur coûte énormément d’argent. Plusieurs bateaux commerciaux ont donc détourné leurs trajectoires pour éviter de prendre des gens à bord. Ce qui pour le coup est entièrement contraire au droit», regrette-t-elle.

Elle ajoute: «En interdisant aux ONG de faire ce travail de secours – il n’y a plus qu’un seul bateau d’ONG en mer actuellement, le Sea-Eye – tout en retirant les bateaux européens, la multiplication des détournements est un risque collatéral possible, car les traversées continuent quelles que soient les circonstances.» Plus de 20 000 personnes sont décédées dans la mer Méditerranée ces quatre dernières années et «plus de 300 morts ont été comptabilisés depuis le début de l’année, un chiffre qui se limite aux cadavres retrouvés», conclut-elle.